Pourquoi l'idée de lancer des méga-projets agricoles dans le sud de l'Algérie est néfaste et sans lendemain? Aissa Manseur, en citant l'exemple de l'Arabie saoudite mais également du Complexe agroalimentaire du Sud (CAAS) d'Adrar, l'explique dans cette contribution.
La nouvelle politique agricole en Algérie
s’articule sur la création de méga-projets de plus de 10 000 ha dans le
sud, des sociétés entre des nationaux et des partenaires étrangers ont
été créés et des projet sont déjà en cours de réalisation, une surface
de 600 000 ha est réservée à ces projets qui seront orientés
essentiellement vers la production de céréales , la pomme de terre et
le lait
C’est l’agrobusiness, le modèle qui a été
adopté en premier lieu, en Amérique latine, un modèle qui se veut
‘’capitaliste et commercial ’’ par excellence, dont le gain est le seul
but recherché sans lésiner sur les moyens à mettre en œuvre et sans se
soucier des répercussions qui peuvent être engendrées.
Théoriquement les chiffres qu’avancent les
concepteurs de ces projets en terme de production et de création
d’emplois nous font sans aucun doute ‘’tourner la tête’’, séduire et
nous promettent encore le paradis !
Quel sera le sort des petits exploitants
agricoles et de l’agriculture paysanne en général ? Quels seront les
effets sur les ressources hydriques souterraines et sur
l’environnement ? Notre agriculture s’articule autour de petits
exploitants, de petits éleveurs, de petites et moyennes exploitations,
en dépit d’une politique agricole défaillante et des difficultés
rencontrées sur terrains, cette agriculture a pu assurer une certaine
autosuffisance en plusieurs produits notamment maraichers.
Ces mégaprojets porteront surement et sans
aucun doute un coup des plus durs à notre agriculture, Le marché sera
contrôlé totalement par ces gros propriétaires terriens y compris
l’exportation, on passera alors à une autre forme de spéculation et on
aura à faire a des spéculateurs ‘’nouvelle version’’ !
Les petits agriculteurs ne peuvent tenir
longtemps face à la rude concurrence déloyale à laquelle seront
confrontés et peuvent abandonner ou alors céder leurs terres à ces
nouveaux ‘’maitres’’ et seront alors contraint de rentrer dans ‘’le
gouffre’’ du chômage avec toutes les repussions sociales négatives qui
en découlent.
Des réserves hydriques à protéger
La création des mégaprojets agricoles dans le
sud, et vu les contraintes du climat et du sol, exige l’utilisation
abusive de l’eau ce qui pèse lourdement sur les réserves hydriques
souterraines, nous n’avons aucun droit d’épuiser ces réserves qui
appartiennent à toutes les générations futures
Le souci du gain et afin de faire face aux
charges faramineuses de production, le recours aux OGM (Organismes
génétiquement modifiés) est inévitable. Les OGM agricoles sont des
plantes à pesticides, c’est à dire, des plantes qui vont, soit produire
un insecticide leur permettant de résister à un insecte ravageur, soit
qui vont être capable d’absorber un herbicide sans mourir
Il se pose certains problèmes environnementaux
avec la culture des OGM qui ne subissent pas les dégâts de l’herbicide,
l’agriculteur fait en général moins attention à la dose d’herbicide
qu’il va épandre. Il va préférer en mettre plus pour être sûr, étant
donné que sa culture sera de toute façon épargnée. Nous avons ainsi dans
les gigantesques cultures aux États-Unis par exemple, des agriculteurs
qui épandent des pesticides en avion, arrosant toute la surface de
pesticides.
Les OGM font le bonheur des industries
semencières qui s’approprient de l’environnement, l’agriculture et le
futur de l’alimentation de toutes les générations à venir. La création
de méga-exploitations agricoles a été déjà initiée par plusieurs pays et
qui a connu un échec retentissant.
La leçon saoudienne
Durant les années 80, l’Arabie saoudite a opté
pour ce modèle pour produire les céréales. On se rappelle bien de ces
fameux cercles verts éparpillés dans le désert arabique, trois décennies
durant, la production a été satisfaisante, l’autosuffisance en blé a
été atteinte et des surplus de production ont été exportés durant
plusieurs années à des pays voisins… Mais cette performance n’a pu durer
encore, des baisses surprenantes et inquiétantes des niveaux des nappes
d’eaux souterraines ont été décelées, les cultures des céréales ont
épuisé gravement les réserves souterraines d’eau.
Une situation alarmante qui amène la monarchie
saoudienne à interdire définitivement la culture des céréales, et comme
mesure d’urgence, elle fait recours à l’importation pour subvenir aux
besoins en ces produits. Actuellement l’Arabie saoudite fait la conquête
de terrains agricoles de pays tiers, des ‘’terres porteuses ‘’ pour
cultiver les céréales pour sa propre consommation
La chine a opté également pour les méga-fermes
laitières, 56 méga-fermes de 10 000 vaches ont été créées mais avec les
difficultés rencontrées notamment dans la gestion des montagne de
fumier, des eaux usées et des déchets, les autorités chinoises change
d’approche et optent pour des fermes plus petites de 350 vaches, des
fermes facile à construire avec moins de ressources
Peut-on réussir là où les autres ont échoué ?
Il est nécessaire d’évoquer le cas du Complexe
agroalimentaire du Sud (CAAS), société par action fondée par des
promoteurs locaux, qui avait pour ambition de mettre en valeur 30 000
ha dans la région d’Adrar par la culture de céréales, de cultures
industrielles (tomates, betteraves, oléagineux), ainsi que la
réalisation d’un complexe agroalimentaire de concentré et de sauce de
tomate dont les équipements ont été fournis par une société Espagnole.
Les résultats de premières années
d’exploitation étaient très encourageants. Durant la saison 2003/2004
les rendements du blé ont dépassé toute prévision ainsi que la tomate
dont la production a fait tourner l’usine de transformation. Mais cela
n’a pas duré longtemps, quelques années plus tard l’usine a cessé de
fonctionner faute de matière première suffisante. Le prix d’achat des
céréales n’a pas permis d’amortir les charges faramineuses de
production, ainsi en 2007 fut prononcé l’échec de cette première
expérience de l’agrobusiness en Algérie.
Y a-t-il une autre alternative pour développer notre agriculture ?
Des producteurs céréaliers locaux ont franchi
le cap des 50 qx à l’hectare, d’où la naissance du club des 50 (ceux qui
produisent 50 qx et plus à l’hectare de céréales), des chiffres qui
avoisinent les niveaux les plus performants. Des éleveurs de vaches
laitières du coté de Ghardaïa ont réalisés des pics de production du
lait de 50 l/jour/vache, une performance meilleure que celle annoncée
par les concepteurs des méga-fermes laitières.
Pourquoi ne pas encourager et accompagner ces
deux modèles algériens au lieu de chercher les solutions ailleurs !
Concernant ces deux produits stratégiques qui alourdissent la dépendance
alimentaire vis-à-vis de l’étranger et dont l’importation exerce une
pression négative sur la balance des paiements du commerce extérieur du
pays, c’est le manque de stratégie et de vision des responsables du
secteur qui entravent leur développement.
La production céréalière est tributaire des
précipitations, conduites de façon traditionnelles, ces cultures ne
peuvent enregistrer des résultats satisfaisants, 3,5 millions d’ha sont
emblavées annuellement dont seulement 200 à 240 000 ha qui sont
irrigués. Aucun effort n’est déployé pour accroitre les surfaces
irriguées malgré les projections annoncées n’a chaque début de saison
Il est plus judicieux de penser à un mégaprojet
d’amenée d’eau pour ces zones céréalières qui sont en ‘’manque’’,
Irriguer les 3.5 millions d’ha réservés aux céréales nous conduit
inéluctablement a l’autosuffisance et dégager également un surplus très
important pour l’exportation !
Concernant la production laitière, l’élevage
des vaches laitières se fait de façon traditionnelle. Il est impératif
de produire des fourrages au sein de l’exploitation avec la création de
fermes laitières de 200 à 300 vaches et d’organiser la filière du
producteur jusqu’au transformateur. La collecte du lait cru auprès des
éleveurs revêt une importance capitale, actuellement plus de 60% du lait
cru n’est pas collecté et commercialisé par le secteur informel.
N’ayant pas fourni les efforts nécessaires
pour donner à notre agriculture l’essor escompté en dépit des budgets
faramineux qui lui sont consacrée, les responsables du secteur veulent
nous inculquer l’idée que le développement de l’agriculture est
ailleurs. Et qu’elle ne pourra se faire avec la composante actuelle,
l’essor de l’agriculture. Bref, selon ces derniers, elle ne pourra se
faire qu’avec la réalisation des mégaprojets dans le sud en partenariat
avec les firmes étrangères
Avec cette nouvelle politique agricole on sera
toujours dépendant des étrangers et de surcroit, produisent sur nos
terres !! On ne peut en aucun cas être dépendant ‘’éternellement’’ des
autres pour satisfaire nos besoins alimentaires.
Il est impératif de préserver notre
agriculture qui s'inscrit dans le concept de développement durable,
respectueuse de l’environnement et facteur de préservation du tissu
sociale. Un pays comme le nôtre, avec toutes les potentialités qu’il
recèle peut relever le défi de l’autosuffisance alimentaire, sans
importer aucun modèle et sans calquer aucune expérience, pour peu que la
volonté politique se dessine
(*) Expert agronome
(Opinion) Pourquoi l’option des mégaprojets agricoles dans le sud de l’Algérie est néfaste
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